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  • Damien Choppin

Calypso Overkill, queen de Paris


PORTRAIT - Depuis quatre ans, Jérémy de Jesus, alias Calypso Overkill, est l’une des drag queens les plus en vues des nuits LGBT parisiennes. Arrivé des Philippines en 2010, il a trouvé dans cette communauté une famille de substitution.


Dans les rues du Marais, à Paris, un personnage surmaquillé et coiffé d’une longue perruque grise pose des questions à caractère sexuel aux passants amusés : “C’est quand la dernière fois que t’as fait l’amour ?”, “Est-ce que t’arrives à bander quand t’es bourré?”, “T’aimes pas le fist?”... La star de cette vidéo, visionnée plus de 700.000 fois sur la page Facebook de Viceland, c’est Calypso Overkill, une des figures de la nouvelle génération de drag queens parisiennes. Depuis quelques années, elles reviennent en force dans les clubs et bars LGBT de la capitale.


Dans la vie de tous les jours, Calypso s’appelle Jérémy de Jesus. Assis sur le lit de son minuscule studio du 16ème arrondissement, le jeune homme de 25 ans porte une chemise qui laisse apparaître un tatouage au niveau du thorax. Trois lettres inscrites avec le soin d’un graffiti d’écolier : BAD. “C’est pour me venger de ma mère car elle n’arrête pas de dire que je suis un mauvais garçon”, lâche-t’il avec un grand sourire.


Né aux Philippines, Jérémy est arrivé en France fin 2010, avec sa mère et ses deux frères, dont les photos sont accrochées dans un coin de l’appartement encombré. “Elle nous a forcé à venir ici, elle pensait qu’on allait avoir un meilleur avenir”, se souvient le garçon aux cheveux blonds décolorés. Il ne parle alors pas un mot de Français et intègre une classe d’accueil dans un lycée d’Ivry-sur-Seine. Il obtient son bac de justesse en 2014.


Cette année-là, Jérémy tombe sur un extrait de la première saison de RuPaul’s Drag Race, une émission de télé-réalité où des candidats concourent au titre de meilleure drag queen des Etats-Unis. “J’étais très catho à l’époque, ça m’a dégoûté”, admet-t’il. Choqué mais néanmoins intrigué, il dévore les quatre saisons déjà produites. Puis il commence à se maquiller, pour essayer. C’est une amie grecque qui trouve le nom de son personnage : Calypso, comme la nymphe, et Overkill, car son maquillage est exagéré.


Sur Instagram, il tombe sur un pionnier de la nouvelle scène drag, qui le convainc de participer, en 2014, au premier Dragathon, concours de la meilleure queen de Paris. La compétition rassemble neuf concurrentes, qui réinterprètent des tubes de la pop en playback. C’est la première fois que Calypso monte sur scène. Elle remporte le concours en s’inspirant des performeuses américaines et de leur style acrobatique et très énergique. “Quand j’ai fait mon death drop [figure qui consiste à s’écrouler en arrière], les gens n’ont pas compris, il y a eu un silence de cinq secondes”, se félicite Jérémy.


“Calypso a une bonne relation avec le public. Sa façon d’occuper l’espace permet de vraiment capter l’attention”, commente Arié, 24 ans, qui se produit sous le nom de Sativa Blaze depuis 2016. “J’ai beaucoup appris en la regardant.” Calypso la considère comme une de ses “filles”. Elles font toutes les deux partie de Maison Chérie, un collectif créé en 2017. Dans la tradition drag, les queens les plus expérimentées prennent sous leurs ailes les débutantes et deviennent leur “mère”.


La vraie mère de Jérémy, elle, vit entre Ivry et les Philippines. Très catholique, elle a mis du temps à tolérer l’existence de Calypso. “Elle pensait que j’étais une pute !”, lance-t’il en souriant. “Je lui ai dit que c’était comme du théâtre, un personnage.” Maintenant qu’il gagne de l’argent, sa mère tolère, “mais elle n’est pas fière de moi pour autant”. Quant à son père, resté au pays, il n’a que très peu de contacts avec ses fils.


Sa maisons drag est une famille de substitution. “Quand tu es une personne queer, tu n’es pas toujours bien accueilli dans ta famille”, constate Sativa. “Chez moi, c’est un peu tabou de parler de sentiments”, admet Jérémy. “J’essaie de changer cela avec mes potes drag mais c’est difficile pour moi.”


Depuis ses débuts, il y a quatre ans, une véritable scène drag s’est développée à Paris et les soirées se multiplient. Aujourd’hui, Jérémy sort en Calypso trois fois par semaine. Pour un show qui consiste en une prestation en playback sur une ou deux chansons, il demande 150 euros aux organisateurs. A cela s’ajoutent les projets annexes comme la vidéo pour Viceland, ou les rôles de figuration dans des clips vidéo ou au cinéma.

Chaque apparition demande cinq heures de préparation, dont 4h30 de maquillage. Puis vient le moment de rentrer, souvent ivre, après six heures à porter des talons et un corset. Se frotter la peau pour se démaquiller, s’arracher les cheveux en retirant sa perruque. Se réveiller le lendemain, les yeux collés par le mascara. “Si tu es pas un poil maso, tu peux pas survivre à la vie de drag”, renchérit Jérémy.


“En général, je dis que je fais drag queen pour entrer gratuitement en soirée”, plaisante-t’il. Calypso lui permet de se donner une autre identité, de ne pas avoir de limite. “Je suis un peu control freak dans la vie, alors que quand je suis en Calypso je me sens plus libéré”, analyse-t’il. “C’est pour cela que je conseille à tout le monde d’être en drag au moins une fois.”


Le reste du temps, Jérémy est inscrit à la fac. Depuis trois ans, il enchaîne les premières années, en physique-chimie puis en anglais. Les cours sont tout en bas sur sa liste des priorités. Il passe ses journées à trouver des idées de looks sur internet, à retoucher ses photos, à programmer leur publication sur les différents réseaux sociaux. Toutes ses passions — la mode, la photographie, la musique, la danse, la fête — tournent autour de Calypso.


En juin, il a gagné 750 euros, un bon mois. Sa mère paie le loyer du studio. “Elle me harcèle pour que je trouve un job mais je veux pas”, souffle-t’il. Alors il doit partager son logement avec son demi-frère de 12 ans, “fan” de Calypso.


Pour “servir” des looks qui en mettent plein la vue, Jérémy trouve ses tenues dans des friperies, ou emprunte des vêtements à d’autres membres de sa maison. Son maquillage provient des échoppes du métro ou des magasins afro du quartier Château d’Eau. Quant à ses perruques, en fibre synthétique, il les achète sur le site chinois AliExpress. Elles sont entassées dans deux grands sacs plastiques, au fond d’un placard. “J’ai appris à les coiffer grâce à Meduza”, une queen de la House of Morue, une autre maison parisienne.


Jérémy pense-t’il vivre un jour de son activité de drag queen? Il répond après une longue hésitation: “J’aimerais avoir de grands projets mais je vais pas les chercher. Je préfère qu’ils tombent et que mon travail parle de lui-même.”

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