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  • Damien Choppin

Les drag kings de Paris mettent un coup de pied dans le patriarcat


Jésus La Vidange (gauche) et Thomas Occhio (droite), les hôtes de la soirée. Photo Damien Choppin

REPORTAGE - Alors que la popularité des drag queens a explosé dans la nuit LGBTQI+ parisienne, les drag kings, des femmes qui se travestissent en homme sur scène, tentent de se faire une place sous les projecteurs. Une fois par mois ces performeurs montent sur scène pour un show militant et subversif.


Dans la salle du bar La Mutinerie en ce mercredi soir, veille d’Halloween, on a poussé les tables et retiré le billard pour faire entrer la foule compacte dans cette institution queer et féministe. “Ce soir, je suis Belzébite !”, lance Jésus La Vidange, vêtu d’un simple t-shirt noir, équipé d’un trident et coiffé de cornes rouges lumineuses en forme de pénis. “L’homophobie, c’est moi ! Le sexisme, c’est moi ! La Manif pour tous, c’est moi !” Sur la petite scène, recouverte de posters où les photos de femmes nues cohabitent avec les slogans pro-PMA, le maître de cérémonie déclare ouverte la Kings Factory, seule soirée mensuelle parisienne dédiée aux drag kings.


Dans la communauté LGBTQI+, ces personnages sont le pendant masculin des drag queens : des femmes qui s’habillent et se maquillent en homme pour jouer sur scène. Alors que la popularité et le nombre de drag queens explose à Paris avec, notamment, le succès de l’émission RuPaul’s Drag Race - une téléréalité américaine qui dure depuis 11 saisons et disponible en France sur Netflix -, les drag kings peinent à se faire une place. Ils sont une trentaine dans la capitale, contre près d’une centaine pour les queens. “On a pas autant de moyens, on est pas autant à pouvoir s’investir, organiser des choses”, constate Jésus La Vidange, qui est né Marion mais préfère qu’on le genre au masculin, même en dehors de la scène.


“Aujourd’hui, si on veut faire une soirée vraiment queer, il faut programmer tout le monde”


Mais les choses commencent à bouger pour les kings. “Cette dernière année, il y a un truc qui s’est passé. De plus en plus de soirées ont des kings sur leur line-up”, se félicite Thomas Occhio, drag king depuis quatre ans. “Ca se fait de plus en plus, il y a une demande de diversité.” Il y a quelques semaines, le Dragathon, concours annuel de drag queens en place depuis 2014, a organisé sa première édition dédiée aux kings. “Aujourd’hui, dans le milieu LGBTQI+, si on veut faire une soirée vraiment queer, il faut programmer tout le monde”, complète Jésus.


Depuis janvier, Jésus La Vidange et Thomas Occhio, organisent la Kings Factory, pour donner un rendez-vous régulier à ces performeurs. “Les gens sont là, les talents sont là et il faut juste se structurer. C’est ça qui prend du temps, de l’énergie”, observe Thomas. Ce soir, huit kings vont se succéder sur scène. Ils ont chacun préparé un numéro musical en playback.


Le personnage de Jésus, 32 ans, est né il y a cinq ans. “Je jouais dans un groupe avec une effeuilleuse burlesque qui s’appelle Juliette Dragon”, relate-t-il. “J’avais vu quelques drag kings déjà, j’ai regardé RuPaul’s Drag Race et j’ai eu moi aussi envie d’en faire. J’ai fait mon petit bonhomme de chemin, en regardant des tutos sur internet, c’était un truc assez personnel.”


Un show forcément politique


Par rapport aux drag queens, les kings s’affirment avec un côté plus militant, moins accessible aux premiers abords. “On est à majorité des personnes assignées meuf à la naissance, on a subi une oppression et on représente notre oppresseur”, explique Jésus. “Parfois ça va pas être des choses super agréables, ça va pas être aussi extravagant ou joli qu’une drag queen, qui va souvent représenter une femme qu’elle admire.”


Ce soir, c’est Ryder Gently, venu de Londres, qui ouvre les hostilités, drapeau britannique déchiré dans la main. Pendant la chanson, une reprise de “I See Fire” d’Ed Sheeran, il déchire une photo de Boris Johnson avant de tomber la chemise pour révéler un message inscrit sur le dos : “Fuck Boris”.


Plus tard, c’est Cinnabun Rolls, perruque rose sur la tête et vêtu d’un ensemble gilet-veste en cuir, qui prend le micro pour interpréter, en live, une reprise de Kate Bush aux paroles volontairement moqueuses : “les femmes bies et hétéros, prenez garde à vous, car la lesbienne va se jeter sur vous !” Il chante, le symbole du genre féminin peint sur les joues, devant un public hilare.


La plupart des performances de la soirée revêtent un caractère politique. Pour Jésus, c’est presque obligatoire quand on est drag king. “Ca dépend des contextes. Peut être pas ici à la Mutinerie, mais si t’es devant un public à majorité hétéronormé, rien que le fait d’être une personne travestie, trans, pas normée... Devant ce genre de public, c’est politique, en soi.”


“Mon Jésus, de base, c’est un mec à la virilité un peu fragile, il sait qu’il est macho mais il se soigne. Mon inspiration c’est les rockeurs genre Johnny Depp dans Cry-Baby”, détaille celui qui ne performe plus qu’une ou deux fois par mois. “J’ai décidé de me calmer, j’ai trouvé un travail, je suis vendeur dans un sex shop.”


Entre 300 et 400 euros par mois


Thomas, lui, mène de front une carrière de drag king et de danseuse burlesque, sous le nom de Vesper Quinn. La journée, il est Morgane, assistante juridique de 33 ans. “Tout le monde s’emmêle les pinceaux”, s’amuse-t-il. “Je peux passer de Morgane en début de soirée, à Vesper vers minuit, puis Thomas à trois heures du matin, ça dépend !”


Son personnage est né il y a quatre ans dans une école de cabaret burlesque. “Quand on m’a demandé de monter mon premier numéro solo, je suis arrivé en homme. Il fallait que je mettre un costume d’homme, que je me maquille, que j’ai une posture d’homme”, raconte-t’il. Inspiré par les dandys anglais et les photos d’Helmut Newton, Thomas porte pourtant ce soir un long manteau de fourrure noir et blanc, des talons et des bas résilles. Sur le visage, il s’est dessiné une barbe de trois jours et une moustache rose. “J’aime beaucoup le mélange homme-femme, il y a toujours un peu un côté genderfuck [mélange des genres, ndlr].”


Une versatilité qui lui permet de gagner entre 300 et 400 euros par mois avec ses cachets, “plus sympathiques qu’au début”. “Mais ça me permet pas de gagner assez pour dire ‘j’arrête tout et j’en vis’”, modère-t-il. Certaines drag queens parisiennes arrivent presque à gagner assez pour en faire leur job à plein temps, mais en étant “uniquement drag king, c’est pas possible”, regrette Thomas. “On est obligé de faire des compromis, personnellement j’encourage à me faire payer en visibilité, car pour l’instant on en a besoin”, ajoute Jésus. “C’est pas mon porte monnaie qui est important dans l’histoire.”


A la fin du show, Juda La Vidange, fils spirituel de Jésus, cheveux plaqués vers l’arrière et fine moustache à l’italienne, lance son DJ set qui fera danser la foule jusqu’à la clôture du bar. “Des gens de tous les genres et toutes les orientations sexuelles viennent nous voir”, commente Thomas Occhio. “Tout le monde est hyper bienveillant et vient avec plein de questions et c’est ça qui est intéressant.”

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